L’éducation populaire est-elle toujours d’actualité ?
L’éducation populaire est-elle toujours d’actualité ?
Sylvain Wagnon, Université de Montpellier et Mathieu Depoil, Université Paul Valéry – Montpellier III
Quel point commun entre les maisons des jeunes et de la culture, les auberges de jeunesse ou le scoutisme ? Chacun de ces mouvements ou associations se rattache à ce qu’on appelle l’éducation populaire, qui entend améliorer le fonctionnement de la société hors de l’appui des institutions classiques.
Mais comment définir plus précisément cette démarche éducative non scolaire ? L’éducation populaire a une histoire, des principes et des pratiques spécifiques. Que représente-t-elle aujourd’hui ? En quoi peut-elle être un vrai projet politique et éducatif novateur au XXIe siècle ?
Des savoirs pour s’émanciper
Les historiens de l’éducation populaire soulignent le flou de sa définition sur le plan scientifique, tout en affirmant son importance pour comprendre notre histoire éducative. S’agit-il seulement d’une démarche visant à donner la possibilité au plus grand nombre d’accéder aux savoirs ? L’éducation populaire est bien plus que cela.
À la fois élément d’éducation permanente, formation tout au long de la vie, avec l’ambition d’une éducation accessible à tous, elle peut se définir comme une volonté d’émancipation individuelle et collective à partir de pratiques actives et concrètes.
Permettre à tous d’accéder aux connaissances et aux savoirs pour s’émanciper et transformer la société est un idéal issu de la Révolution française. Mais, c’est au début du XIXe siècle, avec l’essor de la société industrielle et capitaliste, que l’ambition d’une instruction du peuple et de l’émancipation des travailleurs se dessine concrètement.
Cette éducation populaire naissante a de multiples formes. Le courant républicain, en créant, en 1866, la ligue de l’enseignement, pense à l’encadrement des jeunes hors temps scolaire, avant même l’élaboration de l’école laïque et obligatoire.
Le courant syndicaliste ouvrier propose autour des bourses du travail et des universités populaires, une formation politique des travailleurs. De leur côté, les courants chrétiens fondent leurs propres associations d’éducation populaire à l’image de la jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et la jeunesse agricole catholique (JAC).
Un âge d’or ?
L’essor de l’éducation populaire est perceptible à partir de la création des congés payés en 1936 et de la politique progressiste du Front populaire mise en œuvre par le ministre de l’Éducation nationale Jean Zay et par le secrétaire d’État à la jeunesse et aux sports Léo Lagrange.
C’est le début d’un rayonnement de l’éducation populaire avec la création des Cemea (Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active) en 1937 et des multiples associations de colonies de vacances, espaces d’éducation et de sociabilisation des jeunes. Le mouvement se poursuit à la Libération avec la création de la Fédération nationale des Francas (Mouvement des Francs et Franches Camarades) et la création des Maisons des Jeunes et de la Culture (MJC) qui perpétuent et amplifient cette éducation populaire d’accès à la culture et aux savoirs pour tous.
Parallèlement, l’éducation populaire s’institutionnalise. En 1953, l’institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) fédère les différents mouvements et un statut officiel d’animateur professionnel est créé. Tout en se pérennisant, l’éducation populaire semble perdre de vue son caractère émancipateur du point de vue social en se cantonnant au domaine socioculturel.
De nouveaux domaines d’action ?
En 1998, la création d’Attac a illustré ce retour vers une conception politique de l’éducation populaire. Les dégâts sociaux encore exacerbés par la crise sanitaire actuelle nécessitent, plus que jamais, une prise de conscience des inégalités croissantes de notre société et de l’aggravation de la pauvreté en France.
ATD Quart Monde ou Emmaüs, pour ne citer que ces deux associations emblématiques, participent activement depuis des décennies à la lutte contre les inégalités sociales par des actions d’éducation populaire et de formation.
Faut-il donc y voir, comme le souligne un rapport du Conseil économique et social de mai 2019, un « concept moderne et précurseur » et un « laboratoire permanent de l’innovation et des méthodes actives » ? Car on assiste aujourd’hui à un renouveau,une bifurcation précise le sociologue Christian Maurel, ou peut-être un retour aux sources même de l’éducation populaire.
En effet, en mai 2021, la note de l’Injep sur la fabrique de l’éducation populaire précise les multiples champs possibles d’intervention de l’éducation populaire au XXIe siècle : éducation permanente, universités populaires, mais aussi appui aux mesures de politiques urbaines, de luttes contre les inégalités ou toutes les formes de discriminations.
L’éducation populaire s’ancre dans tous les domaines et représente un levier éducatif pour toutes les catégories sociales et toutes les générations à l’image du travail de la Fédération des centres sociaux sur le vieillissement.
Un projet de société au XXIᵉ siècle
En raison de son histoire, l’éducation populaire possède ses figures pédagogiques, à l’instar de Fernand Oury ou Gisèle de Failly. Elle possède aussi ses propres pédagogies comme celle de la décision – « permettre aux individus de décider de ce qui les concerne » – la pédagogie sociale, théorisée en France notamment par Laurent Ott, ou les pédagogies critiques inspirées par le pédagogue brésilien Paulo Freire.
La présence de Philippe Meirieu, grand nom de la pédagogie, à la présidence nationale des Cemea est à cet égard un symbole de cette réaffirmation que l’éducation peut être au cœur d’un projet de société.
Mais la vigueur de l’éducation populaire est aussi dans ce lien entre méthodes actives et éducation au politique soulignant ce besoin de repenser une démocratie vivante où tous les habitants ont une place, peuvent agir et peser sur les décisions.
Les champs d’action de l’éducation populaire au XXIe siècle sont donc innombrables. La volonté de créer des activités de démocratie directe, des formes d’expression publique spécifique comme les conférences gesticulées ou des espaces éducatifs nouveaux, à l’image des terrains d’aventure qui redessinent la place des enfants dans la ville ne sont que quelques exemples de ce dynamisme éducatif et politique.
Sylvain Wagnon, Professeur des universités en sciences de l’éducation, Faculté d’éducation, Université de Montpellier et Mathieu Depoil, Doctorant en Science de l’éducation au Liderf – Université de Montpellier, Université Paul Valéry – Montpellier III
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.