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Nénuphare Chroniques et quotidien de la Maison-phare

« Merci de ne pas me prendre en photo : j’veux pas être sur vos réseaux ». Chronique d’une évolution numérique.

Par Salwa G. et Mathieu D.

« Me prends pas en photo… », « J’veux pas être sur Facebook… », « Si on me voit en photo à cette heure là, j’vais avoir des problèmes… », « J’veux pas qu’on me voit ici… ».
En plein essor du numérique, de la communication par image et des réseaux sociaux, comment interpréter le comportement de certains jeunes qui sont de plus en plus réticents à prêter leurs images pour une publication internet ? Entre prise de conscience de leurs identités numériques et refus d’instrumentalisation, petite chronique sur ce phénomène qui peut paraître à contre courant de la digitalisation de notre société.

Le fait est simple et partagé par plusieurs professionnel·le·s : un certain nombre de jeunes ne veulent plus apparaître, tout sourire, en action ou en pose, sur plusieurs réseaux sociaux : ceux des institutions, ceux des ami·es ou encore ceux des adultes. Honteux ? Discrets ? Méfiants ? Compromettants ? Un peu de tout ça à la fois. Contrairement à ce que peut penser l’opinion générale, ce n’est pas parce qu’on est jeune qu’on accepte d’office et de manière absolue d’être affiché sur les réseaux sociaux et ce, sans consentement au préalable. La jeunesse n’est pas nécessairement gage d’engouement aveugle envers le numérique et le « tout réseaux sociaux » et nous pensons qu’il y a plusieurs raisons à ça. Tentative d’explications !

Une première explication qui nous semble plausible est que certains réseaux sociaux ne caractérisent plus la jeunesse. Ceci n’est pas nouveau. Facebook, par exemple, est au numérique ce que sont les clubs 40/50 ans au monde de la nuit. Trouve-t-on un jeune de 17 ans dans une boite de nuit 40/50 ans ? Non. Idem sur Facebook. Même en post, ça fait ringard.

Donc : « tu me mets pas sur Facebook stp».

Blague à part, notre expérience peut en témoigner.

Deuxièmement : l’institution et le rapport au politique. L’esprit critique des jeunes, leur prise de conscience du poids et de l’influence des réseaux sociaux peut dissuader de prêter son image pour faire partie de ce grand tout ou de ces petits rien… En effet, le risque d’être parfois amalgamé à cette communication institutionnelle peut, suivant les cas, s’apparenter à l’instrumentalisation des individus par l’utilisation non consentie de leurs images. Nous pensons qu’une partie de la jeunesse a pleinement conscience du caractère « manipulatoire» de l’utilisation de leur image. Ils et elles le savent, pour être nés dedans et avoir grandi avec. Nous pensons que certains jeunes sont en pleine lucidité sur les enjeux sociétaux de l’évolution digitale de notre société. L’éducation à l’esprit critique et aux médias n’est pas nouvelle et semble avoir fonctionné pour certains jeunes qui ont appris à gérer leurs images.

Donc : « tu me mets pas sur ton Insta stp ».

On a des exemples : Ryan, Mehdi, Bilal, Myriam, Malika, Ousman, Manon, etc.

Une troisième hypothèse peut être évoquée ici : celle de la « discrétion ». Est-il raisonnable de s’afficher sur les réseaux sociaux lorsqu’il est impératif de se faire discret, de se faire oublier, ou encore lorsqu’il y a une injonction à être à demeure ? La réponse sans conteste est oui. L’intimité des jeunes peut être complexe. Préserver sa vie privée est une nécessité.

Alors pour quelconque jeune ayant conscience de ces enjeux, la réponse est toute vue : « Pas de photos stp… ».

On comprend et on respecte.

Une dernière explication de ce refus peut-être simplement liée aux caractéristiques propre à l’adolescence, par le rejet de ce que représente l’adulte et de ce qu’il représente : ne pas être vu ici, ne pas être vu avec lui, ne pas être catégorisé, etc. Comme tout adolescent, cette période charnière propre à la construction de l’image de soi impose aux jeunes le « contrôle » de sa propre image. Il nous semble important de laisser les jeunes se construire non pas à travers nous, mais à partir du cadre préalablement défini ensemble. Chaque personne a droit à un jardin privé.

Alors : « non tu post’ pas la photo… ».

Tu as raison. J’aurais eu la même réaction à ton âge.

Loin d’être une enquête scientifique aboutie ou une étude sociologique posant une thèse, cette chronique ouvre modestement la réflexion sur l’utilisation non consentie de l’image de certains jeunes que nous accompagnons au quotidien et le lien que nous pouvons faire entre valorisation/ communication/respect de l’image d’autrui. Nous ne sommes pas en train d’écrire que les jeunes se détournent des écrans ou des espaces digitaux et abandonnent les réseaux sociaux. Nous constatons simplement que la vigilance à l’utilisation faite de leur image semble transformer leurs rapports avec les institutions et les espaces de communication officielle. Les rapports sociaux et de confrontation qu’ils et elles entretiennent envers l’adulte existent également dans les sphères numériques.

Alors en conclusion et après analyse modeste de ces expériences, nous n’avons pas mieux qu’une interrogation… Une question qui nous perturbe, nous éducateurs et éducatrices populaires : à l’ère de la sur-communication via les réseaux sociaux, à l’heure du « toute image », de la donnée, de la valorisation digitale, de la toute puissance de l’image et du post, si nous ne communiquons pas sur les jeunes, faute d’autorisation et en respect de leurs choix, cela veut-il dire publiquement que le travail que nous faisons avec eux n’existent pas et n’a pas de valeur ? Ne pas communiquer est-ce ne pas exister ?

Salwa et Mathieu

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